Dragons de collection

Nouveau voyage d’Italie / Maximilien Misson.- la Haye : Hendrik Van Bulderen, 1702 (Poitiers, BU, Fonds ancien, 70455)

Un cabinet de curiosités (Nouveau voyage d’Italie / Maximilien Misson.- la Haye : Hendrik Van Bulderen, 1702 (Poitiers, BU, Fonds ancien, 70455))

L’Histoire entière des poissons / Guillaume Rondelet.- Lyon : Macé Bonhome, 1558 (Poitiers, BU, Fonds ancien, XVI 315)

Pour les scientifiques de la Renaissance, il était important de commencer la présentation d’une espèce par une enquête philologique. Recenser et commenter les noms et les descriptions donnés par les auteurs de l’Antiquité permettait de confronter les animaux et plantes décrits dans l’Antiquité aux espèces connues et aux noms donnés par les contemporains, et, ainsi, d’être certain de parler des mêmes choses que les auteurs antiques. C’est pour cela que Rondelet fait une digression, à partir de la vive, sur le « dragon de mer » On trouve sous la plume de Rondelet des explications pour fabriquer des petits dragons : « aucuns comme l’on fait à Anvers prenent des Raies, é les forment comme les peintres peignent les Dragons, c’est à scavoir ouvrent la gueule qu’elles ont au-dessous, leur tortillent la queüe, estendent les aeles des costés, leur courbent la partie de dessus, ainsi les desechent, é font acroire aux ignorans que sont des Dragons marins. » (L’Histoire entière des poissons / Guillaume Rondelet.- Lyon : Macé Bonhome, 1558 (Poitiers, BU, Fonds ancien, XVI 315))

« La fabrique du basilic »

Le cabinet de curiosités du comte Moscardo offrait au regard du visiteur, parmi les raretés naturelles et produites par la main de l’homme, un de ces animaux légendaires aux allures de petit dragon : un basilic. « Mais je croy que ce Serpent ne se trouve qu’au païs des Phénix et des Licornes », écrivit Maximilien Misson, qui visita Vérone à la fin du XVIIe siècle. Ces prétendus basilics étaient en réalité des raies : « on tourne ce poisson d’une certaine maniere, on lui éléve les nageoires en forme d’ailes ; on lui accommode une petite langue en forme de dard ; on ajoûte des griffes, des yeux d’émail, avec quelques autres petites piéces adroitement rapportées ; et voilà la fabrique du Basilic ». La pratique du faux existait depuis que les Curieux collectionnaient, témoin Rondelet, médecin et ichtyologue, qui dès le milieu du XVIe siècle avait révélé la supercherie. Les ignorants, expliquait-il, qui ne savaient pas que le nom de « dragon » avait été donné par les Anciens à ce poisson communément appelé la vive, imaginaient que le dragon marin ne pouvait que ressembler au dragon terrestre des légendes… Aussi les faussaires d’Anvers et d’ailleurs avaient-ils beau jeu de répondre à leurs attentes !

 

Emblemata / Alciat.- Paris : Jérôme de Marnef et Veuve de Guillaume Cavellat, 1583 (Poitiers, BU, Fonds ancien, XVI 688)

L’emblème est « un symbole fait pour instruire » (Dictionnaire dit de Trévoux, Tome III, Paris, 6e édition (1771)). Il a deux fonctions principales, l’une morale et l’autre mémorative. Le genre des livres d’emblèmes est né avec les publications d’Alciat, mais le goût pour ce type de littérature était plus ancien. La première édition illustrée des Emblemata d’Alciat date de 1531. Est ici représenté, pour l’emblème 185, le héros de la mythologie Cadmos, qui sème les dents du dragon occis qui gît à droite ; il s’agit d’un dragon terrestre à quatre pattes. (Emblemata / Alciat.- Paris : Jérôme de Marnef et Veuve de Guillaume Cavellat, 1583 (Poitiers, BU, Fonds ancien, XVI 688))

Œuvres / Jacques et Paul Contant.- Poitiers : Julian Thoreau & la veuve d’Antoine Mesnier, 1628 (Poitiers, BU, Fonds ancien, MED 3)

Quelques spécimens du cabinet de curiosités de Paul Contant (Œuvres / Jacques et Paul Contant.- Poitiers : Julian Thoreau & la veuve d’Antoine Mesnier, 1628 (Poitiers, BU, Fonds ancien, MED 3))

Un dragon à Poitiers

Paul Contant, apothicaire et propriétaire d’un cabinet de curiosités réputé, n’était pas peu fier de son dragon ! Dans le catalogue de sa collection, à la rubrique des animaux, c’est par lui qu’il commençait le compte de ses trésors, et sans doute lui avait-il aussi réservé une place de choix dans l’espace de son cabinet : dès 1600, une première ébauche de présentation poétique de la collection déclarait que « le furieux Dragon / Y preside d’honneur ». En 1625 un voyageur de Dantzig du nom de Gölnitz visita le capharnaüm du sieur Contant puis en fit un compte-rendu organisé – en plaçant le dragon en tête de la rubrique des animalia. Quelque vingt ans auparavant, venu d’Innsbruck, Hans Georg Erstinger était passé par Poitiers, et devant tant « d’objets étranges » avait noté les noms des plus remarquables : le tout premier de la liste était encore, ou déjà, le dragon. Et, détail précieux, dans la mesure où la planche du Jardin, et cabinet poëtique où il figure juxtapose des dessins sans se préoccuper de leurs proportions, il précisait : « Ain ganzen klainen trackhen », un tout petit dragon. Autrement dit, une de ces petites « filouteries », comme le dit Misson, une de ces raies que l’on a fait sécher en la façonnant pour lui donner « un certain petit air dragon qui est assez plaisant »…

 

Mundus subterraneus in XII libros digestus / Athanasius Kircher.- Amsterdam : Johannes Janssonius van Waesberge et Elizaeus Weyerstraten, 1665 (Poitiers, BU, Fonds ancien, folio 598)

Un dragon dans le Mundus subterraneus d’Athanasius Kircher (Mundus subterraneus in XII libros digestus / Athanasius Kircher.- Amsterdam : Johannes Janssonius van Waesberge et Elizaeus Weyerstraten, 1665 (Poitiers, BU, Fonds ancien, folio 598))

Du bon usage du faux

Plaisant, et très original, avec ses pieds en forme de mains et sa corne sur le front ! Bref, une rareté parmi les raretés. Et si cette « rareté quelque chose merite », conclut Contant dans son poème, c’est que « Sa corne sur son chef profondement entée », « Ses ailerons, ses pieds : bref tout son corps entier / Entre les corps rampants porte le front altier » : autant dire que c’est le seul parmi les serpents dont le corps tende, comme celui de l’homme, vers le ciel. Aussi le dragon de collection renvoie-t-il au Créateur tout-puissant capable de combiner toutes formes, aussi fait-il signe vers lui, comme un hiéroglyphe naturel lisible par tous : « son seul portraict incite / Les esprits plus grossiers à contempler sans fin / Les merveilleux effects du grand Dieu souverain ».

 

Pierre Martin

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