Le cimier au dragon, un signe merveilleux

Emblématique et merveilleux, l’apport des cimiers

Avant la rédaction des premières légendes héraldiques, dans le courant du XIIIe siècle, le merveilleux ne semblait pas avoir été particulièrement sollicité par l’héraldique dont la plupart des figures initiales, pièces géométriques, puissants animaux et végétaux stéréotypés, portaient leur symbolique et assumaient leurs fonctions proprement emblématiques sans pour autant devenir le support de récits fabuleux.

C’est principalement le développement des cimiers, ces décors en trois dimensions placés au sommet des heaumes, qui a contribué à faire entrer le fantastique dans les pratiques emblématiques, soutenu par la littérature épique et chevaleresque qui, la première, a sublimé les fonctions pratiques de ces signes dont les tournois vont assurer la diffusion.

 

Le cimier au dragon, un héritage arthurien ?

Parmi les innombrables créations de cimiers fantastiques qui ont été développées entre le début du XIIIe siècle et la fin du XVe siècle, compositions qui révèlent l’incroyable imagination des hommes du Moyen Âge, le motif du dragon fut sans doute un de ceux qui suscita le plus d’interprétations merveilleuses.

La genèse de cet emblème en faisait d’ailleurs le premier cimier connu et le rattachait au roi Arthur qui, comme nous l’apprend l’Historia regum Brittaniae de Geoffroy de Monmouth rédigée vers 1135-1140, avait adopté un casque façonné à l’image d’un dragon, cimier dont le poète Wace a fait, quelques décennies plus tard, le symbole de son lien à son père Uter Pendragon – la tête de dragon. Plusieurs auteurs y ont vu l’héritage des insignes des légions romano-barbares du Bas-Empire.

 

Armorial Gelre (Bruxelles, Bibliothèque royale, ms. 15652-56)

Les armes cimées au dragon du roi d’Aragon (Armorial Gelre (Bruxelles, Bibliothèque royale, ms. 15652-56))

Le cimier au dragon, figure parlante et signe messianique

Après ces précoces mentions de décors de casque – à de très rares exceptions près, l’usage des cimiers ne s’est véritablement développé qu’au milieu du XIIIe siècle – le motif du dragon réapparut de nouveau dans l’emblématique de plusieurs familles souveraines ou de la haute noblesse européenne. Les rois d’Aragon l’adoptèrent à partir du milieu du XIVe siècle, sous le règne de Pierre IV qui en ornait son cimier. En plus du jeu phonétique drago/Arago qui justifiait sa fonction d’emblème parlant, le saurien se chargea alors d’une valeur apocalyptique, justifiant le rôle messianique du roi, qui, à l’image d’un nouveau saint Georges, prétendait terrasser les forces du mal incarnées par la bête monstrueuse. Ce cimier au dragon issant (à mi-corps), paré d’ailes de chauve-souris, fut bientôt repris par le roi de Portugal qui exprimait ainsi ses liens avec la puissante dynastie aragonaise autant que son attachement au culte des Anglais pour saint Georges le sauroctone et l’élection divine de sa dynastie.

 

Große Heidelberger Liederhandschrift (Codex Manesse), Zürich, v. 1300-1340 (Heidelberg, Universitätsbibliothek, Cod. Pal. germ. 848)

Le duc de Brabant (Große Heidelberger Liederhandschrift (Codex Manesse), Zürich, v. 1300-1340 (Heidelberg, Universitätsbibliothek, Cod. Pal. germ. 848))

Archives départementales du Nord, Chambre des Comptes (Demay, Inventaire de sceaux de la Flandre, n° 170)

Sceau de Robert de Cassel (1317) Archives départementales du Nord, Chambre des Comptes (Demay, Inventaire de sceaux de la Flandre, n° 170))

Le cimier au dragon, un motif à la mode ?

Ces princes méridionaux avaient peut-être été inspirés par la vogue qui, dans les années 1330, avait mis au goût du jour les cimiers au dragon ou à la chimère – une sorte de petit dragon volant à la queue en volute et crachant des flammes -, souvent répété sur le chanfrein qui protège la tête de la monture, que l’on retrouve sur les heaumes de nombreux seigneurs contemporains et dont on peine à savoir s’il s’agit d’un simple ornement ou déjà d’un emblème.

 

Armorial équestre de la Toison d’or (Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, ms. 4790)

Jean de Luxembourg, comte de Ligny (Armorial équestre de la Toison d’or (Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, ms. 4790))

Le cimier au dragon, mythe et parenté

Mais le véritable succès du cimier au dragon se trouvait aussi dans l’usage qu’en ont fait les Lusignan et les Luxembourg qui portaient conjointement pour cimier un dragon sortant d’une cuve, emblème dont les héraldistes ont fait le signe de commémoration d’un ancêtre commun qui, depuis l’an Mil, unissait ces familles autour de la figure de Mélusine.

Laurent Hablot

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