La salamandre

Iconologie / Cesar Ripa.- Paris : Mathieu Guillemot, 1634 (Poitiers, BU, Fonds ancien, FAM 1411)

L’élément feu (Iconologie / Cesar Ripa.- Paris : Mathieu Guillemot, 1634 (Poitiers, BU, Fonds ancien, FAM 1411))

La salamandre et le feu

Dès l’Antiquité, les naturalistes grecs et romains prêtèrent à cet amphibien la faculté d’éteindre le feu. Aristote, le premier, dans L’histoire des animaux, rapporta que l’animal ne souffrait pas du feu, le traversait et, ce faisant, l’éteignait. Par la suite, d’autres auteurs, tel Pline, amplifièrent les propriétés merveilleuses de la salamandre en prétendant, entre autres, qu’elle n’était « ni masle ni femelle », que son venin (humeur laiteuse qu’elle émet lorsqu’elle est attaquée) faisait chuter les poils du corps humain, corrompait les fruits et empoisonnait mortellement l’eau des fontaines et des puits.

La salamandre dans la symbolique chrétienne

La réputation d’incombustibilité de la salamandre se répandit dans toute l’Europe chrétienne par le Physiologus et par les ouvrages qui s’en inspirèrent. Ainsi, dans la représentation allégorique des quatre éléments, la salamandre devint l’attribut du feu.

Dompteuse du feu, c’est-à-dire capable d’éteindre les vices, la salamandre devint, dans les représentations chrétiennes, le symbole de l’homme vertueux. C’est pourquoi on l’aperçoit parfois dans le décor des cathédrales comme représentation des Justes et de la pureté. Par ailleurs, sa résistance au feu lui valut d’être perçue comme éternelle (comme le Phénix).

Du symbole chrétien à la devise

À la Renaissance, François Ier, comme son grand-père Jean d’Angoulême et son père Charles de Valois, prit l’image de la salamandre dans les flammes pour en faire son emblème. Les trois mots qui l’accompagnent, « Nutrisco et extingo », signifient « je nourris (le bon feu) et j’éteins (le mauvais). »

Château d'Azay-le-Rideau, Indre-et-Loire (Photo By Myrabella CC. Wikimedia.org : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Nutrisco_et_extinguo_Salamandre_de_Fran%C3%A7ois_I_Azay.jpg)

La salamandre de François Ier, avec sa devise (Château d’Azay-le-Rideau, Indre-et-Loire (Photo By Myrabella CC. Wikimedia.org : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Nutrisco_et_extinguo_Salamandre_de_Fran%C3%A7ois_I_Azay.jpg))

Cette représentation se retrouve également au XVIe siècle dans plusieurs marques d’imprimeurs-libraires. Par cette marque « à la salamandre », ces derniers cherchaient à mettre en avant les vertus associées à l’animal : intégrité, pérennité et constance.

Un animal venimeux

Au XVIe siècle, Matthiole, médecin et botaniste italien, ayant observé une salamandre dans les flammes, écrivit que c’est « folie de croire que le feu ne la consume ». De même, Ambroise Paré émit des doutes sur l’invulnérabilité de l’amphibien, mais tous deux restèrent convaincus de son extrême venimosité. Aussi, à l’époque moderne, les hommes crurent longtemps au poison de la salamandre ; on prétendait que sa morsure était mortelle et qu’elle pouvait, en contaminant l’eau, décimer des villages entiers. De fait, on a longtemps cherché et prescrit des remèdes à son venin.

Œuvres / Ambroise Paré.- Paris : Gabriel Buon, 1585 (Poitiers, BU, Fonds ancien, MED 22)

La salamandre et ses propriétés médicinales (Œuvres / Ambroise Paré.- Paris : Gabriel Buon, 1585 (Poitiers, BU, Fonds ancien, MED 22))

Paraphrasis in Psalmos omnes Davidicos / Cornelius Jansenius.- Lyon : Charles Pesnot, 1580 (Poitiers, BU, Fonds ancien, XVIg 1567)

Marque à la salamandre de l’imprimeur Charles Pesnot (Paraphrasis in Psalmos omnes Davidicos / Cornelius Jansenius.- Lyon : Charles Pesnot, 1580 (Poitiers, BU, Fonds ancien, XVIg 1567))

Croyances et superstitions populaires

La salamandre fit couler beaucoup d’encre, dans les romans et les poèmes comme en témoigne notamment les citations dans le Dictionnaire de la langue française du XVIe siècle d’Edmond Huguet : « Un poisson se nourrist en son eau, Et une salemandre au brasier d’un fourneau. RONSARD, Poemes, A Du Thier (V, 140). »

Dans son roman Les états et les empires de la lune, Cyrano de Bergerac écrivit que la salamandre suait de l’huile bouillante ; de même, l’Abbé de Villars dit, dans Le comte de Gabalis ou Entretiens sur les sciences occultes, que les salamandres étaient « les habitants enflammés de la région du feu ».

Au XVIIe siècle, la peur de la salamandre était encore présente, on pouvait lire dans le Dictionnaire universel d’Antoine Furetière que les salamandres infectaient mortellement les fruits et les herbes par où elles passaient et qu’elles étaient si vilaines qu’elles faisaient vomir ceux qui les regardaient. De même, suivant les régions, elle portait le nom de mouron, souflet ou enfleboeuf, car on racontait qu’elle faisait enfler le bétail. En Bretagne on n’osait la nommer, craignant qu’elle ne vienne aussitôt. En Lorraine, on racontait que celui qui avait été mordu par une salamandre ne pouvait guérir que s’il faisait autant de pèlerinages que l’animal avait de points sur le dos.

Des expériences menées à la même époque par les hommes de science permirent de mieux connaître l’histoire naturelle de la salamandre. Ainsi, Johann Paul Wurfbain prouva qu’on pouvait la toucher sans crainte, Pierre Louis Moreau de Maupertuis et Charles François de Cisternay Du Fay étudièrent de près son prétendu poison et son étonnante résistance. Cependant, il fallut encore de nombreuses années aux scientifiques pour défaire, une à une, les fables accumulées au sujet de cet animal pourtant inoffensif.

Élise Gervais

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