
Jeune prince japonais avec son garde armé et ses serviteurs en casaques noirs (Archives nationales. Commission impériale. Exposition universelle de 1867 à Paris. Documents iconographiques (Archives nationales. Salle des inventaires virtuelle))
C’est après 200 ans à l’écart du monde que le Japon vit son isolement brisé, au milieu du XIXe siècle. Poussé par la peur du colonialisme, les dirigeants japonais se résolurent à l’envoi d’une première mission internationale. Ainsi, en 1867, le Japon participa à l’Exposition universelle de Paris afin d’obtenir une reconnaissance diplomatique. Cet archipel mystérieux paraissait alors par moment étrange, voire surprenant. L’imagination se perdait, l’incompréhension se mêlant à la fascination. La singularité de cette rencontre, entre une culture japonaise désireuse de s’exhiber et l’opinion européenne avide de découverte, invite à se concentrer sur les éléments qui purent attirer l’attention du grand public.

Costumes guerriers japonais (L’illustration : journal universel.- 27 avril 1867 (University of Michigan ; https://babel.hathitrust.org/cgi/imgsrv/image?id=mdp.39015069785247;seq=275;width=1020))
Une ambassade surprenante
Arrivée à Toulon le 6 avril 1867, l’ambassade japonaise ne tarda pas à provoquer la stupéfaction. Le chef de la délégation, le frère du Shogun, était en effet un jeune homme de 15 ans, du nom de Tokugawa Akitake. Malgré son jeune âge, le sérieux qu’il dégageait, son éducation et la rigidité de la courtoisie nippone suscitèrent beaucoup d’étonnement. La beauté de son costume, un manteau uni d’un violet fantasque, tranchait avec les casaques noires et les jupes de diverses couleurs de sa suite. Le port constant d’un sabre par son gentilhomme personnel finissait d’intriguer : il apparut pour certains comme l’indice mystérieux d’une société d’un ancien temps, féodale, comme le furent jadis les royautés d’Europe. Cette stupéfaction ne fut pas stérile néanmoins, elle laissa place rapidement à la naissance d’une grande curiosité pour le séjour de l’ambassade à Paris. Le lieu de vie du prince et ses visiteurs, leurs habitudes, leurs déplacements, tout méritait d’être offert aux lecteurs comme distraction. La publication du 7 avril 1867 du Constitutionnel mentionne un plat consommé régulièrement par les Japonais, « un poisson cru coupé en petit morceaux sur lequel on verse une sauce au carick » : c’est probablement la première fois que des sushis étaient observés en France.

L’intérêt des journalistes pour les acrobates était tel qu’ils ne manquaient pas de restituer avec la plus profonde minutie la préparation, le déroulement des acrobaties et les sentiments éprouvés par le public. (Le Monde illustré.- 11e année, n°550, 26 octobre 1867 (Poitiers, BU de Lettres, 265117))

Comme le précise le journal, le jeu de l’éventail « consistait à maintenir en l’air, sans jamais les laisser tomber, un ou plusieurs papillons en papier, au moyen d’un éventail [que l’acrobate] agitait pour mettre l’air en mouvement. […] Plusieurs des hommes qui font métier d’adresse à Paris ne sont pas encore parvenus à répéter cet exercice, malgré leurs patientes tentatives, ce qui ne fait que mieux ressortir le mérite de l’acrobate japonais. » (Le Monde illustré.- 11e année, n°554, 23 novembre 1867 Poitiers, BU de Lettres, 265117)
La fascinante troupe japonaise
Ce fut dans les cirques de Paris que les visiteurs découvrirent les exploits de la troupe japonaise. Des tours novateurs, jamais vus auparavant, même réalisés par des artistes chinois ou indiens, furent proposés à Paris avec un écho incommensurable. Le public fut saisi par ce qu’il vit, les acrobaties telles que « le jeu du bambou » en équilibre à 15 mètres de hauteur provoquèrent l’effroi, tandis que celles plus techniques comme « l’éventail et le papillon », lévitation d’un pliage en papier grâce à des battements réguliers, suscitèrent une grande fascination. Si les tours entrepris interpellèrent, ils étaient vus comme l’expression d’une culture singulière et exceptionnelle. Les Japonais eux-mêmes apparurent de surcroît braves et stoïques. Lors d’un accident en particulier, le mépris de la douleur dont témoigna suite à une chute l’un des acrobates, ressortant de la scène calmement, fit forte impression. L’admiration fut donc complète, l’acrobatie semblant avoir atteint sa quintessence dans ce pays autrefois impénétrable.
L’admirable production nippone
« Yeddo (Tokyo) est une Athènes asiatique. Nous, civilisés, nous baissons la tête devant ces barbares », tels sont les mots écrits par Jules Claretie dans le journal L’Illustration du 26 mai 1867, laissant apparaître une reconnaissance certaine de l’art japonais. Son architecture simple et ingénieuse était faite de bois et l’œil avisé remarquait ses qualités. La « petite ferme » présente, ainsi que les maquettes disposées, témoignèrent néanmoins de la profusion de styles existant, qui étaient notamment fonction de la classe sociale du propriétaire. La production de céramique, de laques et d’estampes fut sans nul doute la pierre angulaire de l’enchantement européen. Une mode s’installa et une grande partie des objets disposés finirent achetés par les visiteurs de l’Exposition. La qualité, la précision et l’inspiration conquirent le public, comme l’écrit P.-A. Remy le 21 septembre 1867 dans L’Illustration : « voici une royauté (Japon) […] de la fantaisie et de la curiosité, […] et qui, dès sa première apparition a conquis le monde des artistes et des collectionneurs ».

Pavillon japonais (Archives nationales. Commission impériale. Exposition universelle de 1867 à Paris. Documents iconographiques (Archives nationales. Salle des inventaires virtuelle))
Une exhibition grotesque
Si globalement l’exposition japonaise su attiser la curiosité générale, son étrangeté s’attira le désamour de certains critiques. Les armures de samouraï furent par exemple qualifiées de bouffonnerie à cause de leurs coloris criards, alors que l’impression ostentatoirement menaçante des masques finissait de ridiculiser la représentation des guerriers du Shogun. Le cheval présent fut lui-même qualifié « d’aussi laid que son maître ».
Les Japonais ne furent pas épargnés, ils devinrent eux-mêmes objet de dérision. Le visage du prince fut comparé à celui d’un singe tandis que l’on s’étonnait de la naïveté de certains officiers, assez bêtes pour se moucher dans des mouchoirs en papier et non en tissu, responsable sans doute de « leur rhume du cerveau ». Les trois femmes du pavillon de Satsuma, sur le Champ de mars, souffrirent également d’une critique physique. Le plus souvent, les journalistes les décrivirent comme laides ou, dans le cas contraire, de « femme en diminutif ». On portait certes un certain jugement physique et racial sur les Japonais, mais leur présence fut assurément remarquée de tous.
Antoine Angotti