Les sources
Les histoires fantastiques et merveilleuses ont toujours suscité la fascination et ont été transmises de génération en génération. La plupart des monstres que l’on trouve dans les livres médiévaux et renaissants remontent ainsi aux textes antiques. À une époque où le statut de l’auteur n’était pas clairement défini, la traduction et la compilation étaient des procédés d’écriture courants ; le renvoi aux « autorités » antiques constituait également un argument considéré comme valide pour conférer un statut de fiabilité aux nouveaux écrits. Les récits de voyages, les plus riches de tous les textes en descriptions de monstres et animaux merveilleux, mêlaient ainsi souvent les observations propres de l’auteur et des histoires tirées de ses lectures. Ainsi, au Moyen Âge, la rencontre avec des êtres surprenants devint l’une des motivations principales des voyages. Au XVIe siècle, l’intérêt des médecins pour les anomalies les conduisit à placer certains monstres médiévaux à côté des mutations réellement observées ou nouvellement inventées, et ce n’est qu’à partir du XVIIIe siècle que les créatures fantastiques disparurent des publications scientifiques.

Monstre (Histoires prodigieuses / Pierre Boaistuau.- Paris : Annet Brière, Vincent Sertenas, Robert Le Mangnier, Jean Longis et Etienne Groulleau, 1560 (Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, 4-H-9312))
Diffusion de l’iconographie
Qu’en est-il des représentations de ces personnages ? Au Moyen Âge, la fréquente copie des manuscrits, et de leurs illustrations, permit de déterminer une iconographie des créatures merveilleuses. À la Renaissance, avec l’installation de l’imprimerie, la diffusion des images s’intensifia considérablement. Tirées à plusieurs centaines (parfois plusieurs milliers) d’exemplaires identiques et diffusées par une chaîne de libraires et de colporteurs, ces compositions définirent une sorte de canon de représentation. Par souci de précision, les auteurs des nouveaux ouvrages firent souvent copier à l’identique les illustrations présentes dans leurs sources. C’est la raison pour laquelle les images tirées des travaux de Conrad Lycosthenes, Conrad Gesner, Sebastian Münster, etc., sont si facilement reconnaissables, même un siècle plus tard.

Combat d’un éléphant et d’un rhinocéros (La cosmographie universelle / André Thevet.- Paris : Guillaume Chaudière et Pierre l’Huillier, 1575 (Paris, BnF, FB-6665))
On constate cependant qu’au cours du temps certains sujets anciens furent abandonnés en faveur de nouveaux. Ainsi, dans les Bestiaires médiévaux, on modifie le récit de l’Histoire naturelle de Pline, mettant en scène le combat d’un éléphant avec un rhinocéros, en substituant à ce dernier la figure de la licorne. Néanmoins, dans sa Cosmographie universelle (1575), André Thevet recourt aux sources antiques et restitue la scène originelle.

L’asne-pape de Rome (L’asne-pape de Rome / Lucas Cranach l’Ancien.- 1523 (Staatliche Kunstsammlungen Dresden, Kupferstich-Kabinett, inv. n. A 1900-662 ; © Staatliche Kunstsammlungen Dresden, Kupferstich-Kabinett/ Andreas Diesend)
Monstres dans les nouvelles et la propagande
À côté des ouvrages médicaux et des récits des voyages, les canards et les placards de propagande ont également recouru aux représentations de créatures merveilleuses. Rien de plus simple pour éveiller la curiosité du public que de décrire les faits divers les plus surprenants ! Ainsi une estampe Asne-pape de Rome d’après Lucas Cranach l’ancien représente le pape sous les traits d’une créature hybride. Publiée pour la première fois en 1523 dans un placard de Luther et Mélanchton, elle fut plusieurs fois recopiée dans la propagande luthérienne. Le commentaire accompagnant cette composition invite à croire à sa véracité, la créature étant censée avoir été vue sur les bords du Tibre à Rome en 1496.
Anna Baydova