Mi-chiens, mi-hommes

Oeuvres / Ambroise Paré.- Paris : Gabriel Buon, 1585 (Poitiers, BU, Fonds Ancien, MED 22)

Cette illustration est l’une des multiples copies d’une gravure d’après le peintre parisien Baptiste Pellerin. Assez maladroite, elle présente une image dégradée de la composition initiale : les traits sont moins sûrs et plus grossiers que ceux de l’original. Néanmoins, le mouvement du corps de l’enfant demi-chien, sa posture, et même les traits désignant la terre sous ses pieds, rappellent la gravure de l’édition de 1560. C’est un exemple parfait pour illustrer la circulation des compositions dans l’imprimerie : les artistes n’osaient pas se détacher de leur source et reproduisaient les mêmes compositions, des années après l’original. (Oeuvres / Ambroise Paré.- Paris : Gabriel Buon, 1585 (Poitiers, BU, Fonds Ancien, MED 22))

Histoires prodigieuses / Pierre Boaistuau.- Paris : Annet Brière, Vincent Sertenas, Robert Le Mangnier, Jean Longis et Etienne Groulleau, 1560 (Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, 4-H-9312)

1. Enfant demi-chien (Histoires prodigieuses / Pierre Boaistuau.- Paris : Annet Brière, Vincent Sertenas, Robert Le Mangnier, Jean Longis et Etienne Groulleau, 1560 (Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, 4-H-9312))

Créatures hybrides

Les monstres issus de l’hybridation merveilleuse de l’humain avec l’animal occupent une place importante dans l’imaginaire de l’homme et dans les croyances (en particulier chez les dieux égyptiens et antiques). C’est probablement l’un des plus anciens archétypes car, si l’on en croit les préhistoriens, les danses des shamans déguisés et masqués remonteraient à l’origine des sociétés humaines.

Par ailleurs, les auteurs antiques se sont attachés à décrire et comprendre l’existence de ces créatures merveilleuses. Pline l’Ancien explique ainsi leur naissance par la copulation des deux espèces (Histoire Naturelle, livre VII, 2). Les voyageurs et scientifiques de la Renaissance, tels Conrad Gessner, Sebastian Münster, Ambroise Paré ou André Thevet, ont introduit ces créatures dans des ouvrages savants, en s’appuyant toujours sur les écrits des auteurs antiques et contemporains.

Les deux types d’hybridation merveilleuse les plus courants sont les animaux à tête humaine et les humains à tête d’animal.

 

Hieroglyphica / Pierio Valeriano.- Lyon : Paul Frellon, 1610 (Poitiers, BU, Fonds Ancien, RAg 9)

La petite vignette à l’image du cynocéphale que l’on trouve dans le livre de Valeriano accompagne le chapitre consacré au symbole du chien. Selon Valeriano, qui cite des auteurs antiques et médiévaux, cet animal désigne l’impudence. En commentant l’illustration, il écrit : « Et les Mathematiciens pour montrer un impudent chicaneur, mettent un homme en deux endroits du Zodiaque avec une tête de chien » (traduction de l’édition française de l’ouvrage paru à Lyon chez Paul Frellon en 1615). En effet, dans le Zodiaque de l’Égypte ancienne, le signe de la Balance était parfois surmonté par une image de cynocéphale. (Hieroglyphica / Pierio Valeriano.- Lyon : Paul Frellon, 1610 (Poitiers, BU, Fonds Ancien, RAg 9))

Cynocéphale 

Parmi les créatures hybrides, les cynocéphales – hommes à tête de chien – semblent être les plus connus. Ils prennent leurs sources dans les écrits des auteurs antiques : Hésiode, Strabon, Eschyle, Hérodote. Selon ces derniers, les cynocéphales habiteraient soit en Éthiopie, soit en Inde. Dans son Devisement du Monde (1298), Marco Polo mêle son expérience de voyageur et de lecteur et décrit les cynocéphales sur l’Île Agaman en Inde.

Si Diodore de Sicile rapprochait les cynocéphales des animaux, Jean de Plan Carpin, légat du pape Innocent IX en Mongolie au XIIIe siècle, dans son Histoire des Mongols appelés par nous Tartares, leur attribue un langage mi-humain mi-canin. Selon d’autres auteurs, ils porteraient même des vêtements, pratiqueraient l’agriculture et élèveraient des animaux domestiques – ce qui n’empêcha pas Christophe Colomb de les décrire comme cannibales.

Dans l’iconographie chrétienne ces animaux hybrides ont également laissé leur trace. Ainsi, dans la tradition orthodoxe, saint Christophe peut parfois être représenté avec une tête de chien.

 

De monstris / Fortunio Liceti.- Amsterdam : Andrea Frisius, 1665 (Poitiers, BU, Fonds Ancien, 32628)

Une autre représentation de l’enfant demi-chien remontant à la gravure de Baptiste Pellerin se trouve dans l’ouvrage de Fortunio Liceti consacré aux monstres. Mais, si la pose de l’enfant rappelle encore celle de l’original, les traits de son visage sont complètement modifiés. On a également rajouté deux détails de composition n’ayant aucune signification spécifique et servant uniquement à enjoliver et diversifier la composition : une mouche à gauche et une espèce de fleur au milieu. Le changement de la technique de la gravure influence également son esthétique : si, chez Pierre Boaistuau et Ambroise Paré, les illustrations étaient gravées sur bois, celles du De monstris ont été faites sur métal, ce qui permettait plus de liberté dans le traitement des demi-tons. (De monstris / Fortunio Liceti.- Amsterdam : Andrea Frisius, 1665 (Poitiers, BU, Fonds Ancien, 32628))

Enfant demi-chien

Contrairement aux cynocéphales, l’enfant demi-chien semble être une pure invention de la Renaissance. En 1557 Conrad Lycosthenes dans son Prodigiorum ac ostentorum chronicon (Bâle, 1557) décrit un enfant demi-chien, accompagnant sa description d’une illustration maladroite montrant un garçon, avec le bas du corps d’animal. Inspiré par cet ouvrage, l’auteur français Pierre Boaistuau inclut dans ses Histoires prodigieuses et mémorables (Paris, 1560) le récit d’une naissance issue du rapport d’une femme avec un chien. L’illustration dessinée par le peintre parisien Baptiste Pellerin d’après la gravure de l’édition bâloise connut un grand succès, auquel a sans doute contribué sa réutilisation par le chirurgien Ambroise Paré. Il donna en effet une caution scientifique à l’existence de ce monstre en copiant le texte et l’image des Histoires prodigieuses dans ses Œuvres publiées en 1575. À compter de cette date, l’enfant demi-chien entra dans des ouvrages scientifiques sérieux pour au moins un siècle.

Anna Baydova

Recherche

Menu principal

Haut de page